Le jeune Rimbaud avait traînassé toute la journée chez Madame Sabatier.  Il avait quitté le salon pour aller fouiller dans les chambres. Rimbaud aimait bien se balader comme ça, en allant de chambre en chambre pour voir ce qu'il pouvait y trouver.  Des fois, il trouve des vieux livres, des croquis jetés par terre, des encriers d'une belle valeur qui tenaient parfaitement dans sa poche… En bref, il y trouvait son bonheur. Ce n'était pas qu'il aimait ces objets par eux-mêmes, non, c'était surtout qu'il aimait le fait qu'elles aient appartenu à quelqu'un d'autre avant qu'il ne les pique.

Voyez-vous, le jeune poète aimait voler, pas qu'il était kleptomane, non, il était parfaitement conscient de ce qu'il faisait et il pouvait très bien le contrôler. C'était juste que, bon, c'était un sale gosse qui aimait emmerder son monde, et quoi de plus facile pour emmerder les gens que de leur piquer des petits objets du quotidien? Pas des choses d'une grande valeur, plutôt des choses d'une certaine importance.

Ce n'était qu'en entrant dans une des chambres qu'il vit son butin du soir; un carnet de dessin qu'il eut trouvé au pied de l'armoire de la chambre. Il le ramassa et le feuilleta un peu. Il reconnut vite le style de Manet, l'un des artistes qui trainait au Salon, celui qui était fou de Mademoiselle Morisot.
Rimbaud lui parlait souvent, il aimait bien le taquiner, même, et là… Lui prendre son carnet pourrait peut-être lui payer quelques verres d'absinthe au Cabaret Vert, plus tard ce soir.

Quoique.

Quoique Rimbaud avait une idée. Au lieu de lui piquer son carnet, il pouvait faire pire, bien pire.
Il posa le carnet sur le bureau et prit la plume dans l'encrier. Il allait saccager le carnet. Étais-ce méchant? Evidemment que oui, mais Rimbaud n'en avait rien à faire.

Puis il fit une chose qu'il ne faisait que rarement , il réfléchit un coup, et il écouta la voix dans sa tête qui lui disait de ne pas détruire le carnet de Manet… Il pouvait faire quelque chose de beaucoup plus mesquin qui n'aurait pas trop de conséquences sur sa personne.


Il allait dessiner des petits pénis sur deux ou trois des pages vierges. Rien de trop méchant, voyons.

Il le fit, ricanant comme un môme; deux ronds, un ovale, voilà tout. Puis il se dit que ce n'était pas assez artistique, alors il s'appliqua un peu plus, il en dessina de toutes les formes, de toutes les tailles.

Quand il eut fini, il souffla sur le papier pour faire sécher l'encre et referma  le carnet  d'un mouvement rapide avant de le cacher parmi les feuilles qui se trouvaient sur le bureau. Il quitta alors la chambre, les mains dans les poches, rigolant tout seul.

Il revint alors dans le salon pour rejoindre le reste du monde alors qu'ils étaient en train de débattre sur cette nouvelle pièce de théâtre qui fait rage à Montmartre. Il s'assit sur un des canapés, un sourire insolent au visage alors qu'il faisait semblant d'écouter les vieux qui parlaient.